Véritable expérience sensorielle, L’homme à la caméra (1929) est un évènement dans l’histoire du cinéma. Accompagné par la musique époustouflante de l’orchestre urbaine Alloy Orchestra, ce film de Dziga Vertov raconte l’éveil et le trépignement de la ville mythique qu’est Odessa. Sans acteurs, scénario ou décor, la caméra surplombe la ville, s’enfuit en elle et nous fait découvrir les rues, le fourmillement, la vie, la mort et le deuil. Sorte de documentaire avant-gardiste clairement inscrit dans l’art révolutionnaire des années vingt, le réalisateur invite le spectateur à faire une expérience cinématographique intense, rapide, sorte de ligne esthétique généreuse toujours fuyante et filante. On y voit des chaises d’une salle de cinéma invitant les spectateurs à s’y asseoir, des bourgeois paradant en voiture, un blessé de guerre gémissant, une femme au sein nu se baignant. Tout le film est marqué par l’obsession du mouvement et de la vitesse qui, par un subtil et foisonnant travail de montage, happe le spectateur en ciné-œil, en œil-total.

Le cinéaste et théoricien Dziga Vertov réussit, dans cette expérience démesurée, à créer un langage cinématographique nouveau. Mais plus encore que d’audace théorique, il fait preuve d’une effervescence visuelle remarquable alliant tout le spectre des effets spéciaux connus à l’époque avec des images documentaires obtenues par de véritables mises en danger de l’opérateur. Ce film tourbillonnant et plein d’humour cherche à renverser la vision quotidienne du spectateur afin de faire émerger une nouvelle manière de voir, à la fois idéologique et sensuelle. L’Homme à la caméra réfléchit sur le monde autour de lui et l’essence de l’art cinématographique avec une joie qui sera énoncée dans le titre de son film suivant : Enthousiasme (Symphonie de Donbass), également programmé au Week-end à l’Est.