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Le danseur et chorégraphe britannique Akram Khan, 45 ans, présente son ultime solo XENOS (2018) qui distingue les soldats indiens enrôlés dans les armées de l’Empire britannique lors de la Première Guerre mondiale en Europe. Ce voyage théâtral et personnel intense pour l’artiste d’origine bangladeshi, né à Londres de parents immigrés, se veut une réflexion poétique et politique sur l’identité, la mémoire et « ce qui fait de nous des êtres humains ».

Dans quel contexte avez-vous créé ce qui est aujourd’hui votre dernier solo, XENOS ?
Akram Khan: C’est pendant la création en 2016 de ma version du ballet Giselle pour le Royal Ballet de Londres qu’est né le désir de faire ce dernier solo pendant que j’en étais encore physiquement capable. Tant qu’à continuer à danser, j’aurais regretté de ne pas le réaliser. J’ai d’abord commencé à travailler sur le thème de Prométhée. Puis parallèlement, j’ai été contacté par l’organisation 14-18 Now pour une commande autour de la Première Guerre mondiale dont on célébrait le centenaire. Je ne me sentais pas spécialement concerné mais j’ai demandé à réfléchir. Avec mon équipe de collaborateurs, nous nous sommes documentés. Nous avons rassemblé des textes, des articles, des images, des poèmes écrits par les soldats, en particulier ceux des colonies qui ont participé à ce conflit. Ces informations ont provoqué un désir d’évoquer à la fois le mythe de Prométhée et la question de ces hommes venus se battre en Europe. Ils étaient 4 millions dont 1,4 millions d’Indiens, généralement des paysans enrôlés de force, sur les champs de bataille. Cela m’a mis en colère : où sont leurs histoires ? Pourquoi ne sont-elles pas racontées dans les livres ? C’est devenu une mission pour moi de parler de ces oubliés de l’histoire qui sont restés dans l’ombre.

Vous déclariez, lors de la création du spectacle Outwitting the Devil que vous désiriez aujourd’hui valoriser ceux que l’on n’entend pas, que l’on ne voit pas. Cette mission est-elle devenue prépondérante dans votre travail de chorégraphe ?
A. K. : Je tente de parler de l’histoire à travers ceux qui n’ont pas eu la possibilité de le faire. J’ai ainsi donné la parole aux femmes dans Until the lions (2016). Il est vital pour moi de raconter l’histoire à travers ceux qui n’ont pas de voix. Elle a été écrite par des hommes blancs discriminants et racistes. Ils ne l’ont pas rédigée pour dire ce qui est réellement arrivé mais pour qu’on se souvienne d’eux en oubliant les autres, sans donner les différentes perspectives sur les événements. J’ai été saisi par cette injustice et j’ai eu envie de raconter les histoires singulières qui détiennent la vérité.

Depuis quelques années, vos spectacles sont auréolés d’un ton plus engagé et politique. Où situez-vous votre responsabilité en tant qu’artiste ?
A. K. : C’est mon choix aujourd’hui d’être plus politique. Je suis lucide sur le fait que le métier d’artiste n’est pas de sauver le monde. Impossible de toute façon. Mais au regard des politiques, nous avons la responsabilité de proposer une réflexion sur le monde dans lequel nous vivons et peut-être en changer la perception. L’art doit perturber. C’est le rôle des artistes de créer des œuvres inconfortables. Plus largement, être humain aujourd’hui, c’est aussi questionner ce qu’est l’humanité. Quoi que nous fassions, nos corps sont politiques. Sur scène comme dans la vie, tout est question de choix et jusque dans les plus petits détails, nos choix sont politiques.

Quelle a été votre méthode de travail pour incorporer cette tragédie de la Première Guerre mondiale ?
A. K. : Pour entrer dans cet état de corps très particulier, j’ai travaillé sur le « shell shock » (« choc de l’obus »), ce trouble psychique et physique qui a touché les hommes dans les tranchées et dont personne à l’époque ne devait parler. Dès qu’un soldat en parlait à un médecin, ça ne servait à rien : il revenait immédiatement sur le front. La difficulté était aussi d’incarner dans une seule personne ces milliers de disparus. J’ai donc travaillé un personnage très ouvert et universel à fois, celui d’un jeune danseur en Inde qui va partir à la guerre.

Propos recueillis par Jeanne Liger

Dance

Dec 12Dec 22, 2019

XENOS

Akram Khan