María Munoz et Pep Ramis à propos de leur création "Double Infinite. The Bluebird Call"
Vous avez fondé Mal Pelo en 1989 autour d’un duo mais, dans l’ensemble de vos trente créations,
quatre seulement ont été des face-à-face entre vous deux. Que signifient ces nouvelles retrouvailles dans votre parcours?
PEP RAMIS : Nous nous retrouvons tous les huit à dix ans, pour questionner l’endroit où se place notre désir et faire le point sur notre langage artistique, avec nos corps du moment. Le désir de nous retrouver est aussi venu du fait d’avoir terminé une quadrilogie sur la musique de Bach, dont nous présentons plus tard au Théâtre des Abbesses le premier volet, le solo Bach de María.
Dans Double Infinite. The Bluebird Call, vous poursuivez sur la voie de la rencontre entre la danse, la poésie et la musique.
MARÍA MUÑOZ: Cette fois, nos sources sont très mélangées, avec des textes de John Berger, Pier Paolo Pasolini et Nick Cave. Il y a le poème Blue Bird de Charles Bukowski qui a donné le titre du spectacle et des extraits édités de pensées de Blaise Pascal sur l’idée de l’infini. La musique jouée en live par Joel Bardolet, Quiteria Muñoz et Bruno Hurtado est aussi très importante pour le spectacle, dans l’idée d’une bande-son comme au cinéma.
P. R. : Nous avons travaillé pendant douze ans avec le poète et romancier John Berger qui a contribué à trois de nos spectacles et aussi à des installations audiovisuelles. Cette période était très importante pour nous, de par nos échanges et réflexions partagées.
Ce duo qui débute par deux solos est-il une métaphore de vos propres retrouvailles sur le plateau ?
P. R. : Jusqu’ici, nous avons commencé nos duos en étant très soudés. Cette fois, nos collaborateurs ont d’abord travaillé avec María, pendant plusieurs semaines, et ensuite avec moi. Nous avons créé des lignes de recherche parallèles, mais à travers le prisme de chacun. Ce sont deux portraits, mais on y fait référence à l’absence de l’autre, par les images projetées.
M. M. : Il est possible que les deux aient un vécu partagé et se retrouvent après une séparation, mais on peut aussi penser qu’ils vivent ensemble, tout en éprouvant la nécessité d’un monologue intérieur. Cette pièce est très nouvelle, nous l’avons très peu jouée et nous sommes encore en train d’y découvrir beaucoup de choses.
Comme dans The Mountain, the Truth & the Paradise, le solo de Pep Ramis qu’on verra également au Théâtre des Abbesses, cherchez-vous ici à comprendre votre relation au monde?
P. R. : Je pose ici des questions vitales : comment faire pour être dans ce monde, pour vivre avec les autres? On met ça sur la table, avec toute la violence qui secoue le monde... Entre espérance, désespoir et absurdité de l’existence humaine, je cherche la spiritualité – et non la religion – où l’on traque l’essentiel, entre la lumière du haut et la boue d’en bas. Et nous voilà entre les deux, essayant d’y comprendre quelque chose. C’est fort, triste et comique à la fois. Ces questions forgent aussi notre langage corporel et les gestes avec lesquels nous nous exprimons. Nous n’avons plus vingt ans, notre danse n’est pas explosive, mais nos corps sont très engagés. Nous aimons trouver la qualité dans la simplicité, les suspensions, et parfois dans les silences.
Propos recueillis par Thomas Hahn