On a pu aller au bout du travail – Entretien avec Charlotte Lagrange
Autrice et metteuse en scène, Charlotte Lagrange a été l’un des pivots de l’équipe constituée par David Lescot.
Les ateliers ont été bousculés par le confinement, comment ça s’est passé ? J’avais deux groupes sur cinq séances, à raison d’1h30 à chaque fois, sachant qu’ils étaient 19 dans le premier groupe, on courait vraiment après le temps. Le confinement est arrivé très vite après le début du travail, mais j’avais eu le temps de voir qu’ils avaient une liberté avec la langue et un imaginaire qui se déployait très rapidement. Juste avant, ils avaient imaginé que le temps était mort, ils avaient tout à fait perçu ce qu’on allait vivre par la suite… Après le confinement, nous avons tout changé, grâce à Christelle Simon des relations publiques du Théâtre de la Ville, et Annie Mandrou, infirmière psychiatrique — il faut les citer ! — qui ont été capables de tout réinventer avec les gens de l’hôpital. Je leur ai proposé de mélanger les groupes et de concentrer le temps de travail sur deux semaines pour être à la fois dans l’écriture et dans le jeu. Là, nous avons vraiment réussi à construire une histoire à partir de leurs textes, que nous avons mis en jeu devant du public. Ils ont été supers. Ça a été des vraies rencontres.
Qu’est-ce que cette expérience vous raconte sur l’écriture ? A chaque fois cela me renvoie à d’autres manières d’écrire, j’apprends avec les gens. J’adore mener des ateliers avec des gens qui ne sont pas dans un respect trop révérencieux avec la langue française. Tout l’enjeu est de leur montrer que leur langue; c’est de la langue et que la langue de l’Académie française, c’est une fausse langue — au sens où elle est figée, trop propre. Merleau-Ponty distingue la langue parlée, académique, et la langue parlante, qu’il faut rendre à nouveau vivante. C’est le travail du poète. Les gens qui sont dans un écart à la norme viennent malgré eux la transformer. Il faut les valoriser là-dedans, ça leur permet de découvrir qu’ils ont déjà les outils artistiques pour raconter ce qui les traverse. Et ce qu’ils ressentent, ça raconte tout le monde, c’est comme s’ils vivaient plus fort ce que nous vivons tout bas. Foucault disait la raison est folle d’avoir voulu enfermer la folie ; entre eux et nous, il n’y a qu’une différence de degré pas de nature.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement marquée ? C’est de voir certaines personnes, très fermées au départ, s’ouvrir par l’écriture et par le jeu. De voir des gens qui ont envie de jouer tout le temps et de voir comment ils s’amusaient de plus en plus ensemble — il y a une intimité très particulière qui se créé quand on joue ensemble à être autre chose que ce qu’on est. Ce qui a été fort c’est qu’on a pu aller au bout du travail, j’aime quand les participants sont auteurs de la langue, de la pensée, de la mise en scène et quand ils jouent. C’est leur projet, et moi je suis là pour l’accompagner, plutôt que de les faire rentrer dans le moule.
Propos recueillis par Maïa Bouteillet