La frénésie qui emporte l’Inde contemporaine n’épargne pas le sérail de la musique classique. Les démonstrations de virtuosité deviennent la norme, déjouant la recherche de l’atmosphère juste, condition de l’expérience du sacré. C’est là pourtant la vocation première de la tradition hindoustanie. Parmi les artistes de son temps, Baha’ud-din Dagar fait figure d’exception. Sa silhouette élancée, ses gestes presque suspendus, son regard lointain siéent à merveille à cet esprit érudit et cette âme passionnée, mais sage. Il est le fils de Ustad Zia Mohiuddin Dagar (1929-1990), maître de la rudraveena, et le neveu de musiciens non moins légendaires, dont le chanteur Ustad Zia Fariduddin Dagar (1932-2013). Représentant la vingtième génération de la Dagarvani, cette lignée unique en son genre du style dhrupad, Baha’ud-din Dagar porte un héritage des plus exigeants. De mémoire historique, les poètes-musiciens attachés au rāja Mān Singh Tomar de Gwalior, dont le célèbre Tansen, auraient été les premiers architectes de la forme qui nous est parvenue. Le musicien s’attelle chaque jour à produire la résonance harmonieuse, profonde et subtile capable de révéler le réel au-delà du réel.

Edith Nicol