D’une grotte à l’autre
En septembre 1940, quatre adolescents découvraient la grotte de Lascaux. C’est autour de cet épisode, au caractère fortuit et presque magique, que Gaëlle Bourges a créé « Revoir Lascaux » spectacle tout public à partir de 6 ans, au Théâtre de la Ville-Espace Cardin. Les hasards de la programmation nous donnent souvent l’occasion de tisser des passerelles ; ainsi, au mois de mai, avec l’édition 2018 de Chantiers d’Europe, nous ferions mieux de garder sur nous nos équipements de spéléologues d’un soir pour passer sans encombre d’une grotte à l’autre.
A l’heure où Gaëlle Bourges nous convie à l'étrange rencontre entre les origines de l’art et les jeunes âges de la vie, Edurne Rubio, dans « Light Years Away », nous plonge dans le noir absolu de l'Ojo Guareña, l’une des plus grandes grottes d’Europe, à travers une exploration sous terre, mais aussi dans la mémoire. Deux grottes, deux pays, deux époques, deux femmes, mais bien des similitudes.
Lascaux, découverte pendant la guerre, a dû rester un temps silencieuse pour éviter que les soldats allemands ne s’y intéressent de trop près. Le père d'Edurne Rubio et ses deux oncles furent les explorateurs de l’Ojo Guareña et y vécurent une quête souterraine qui leur permit de vivre un sentiment de liberté mis à mal par le franquisme qui régnait au-dehors. "Mon père et mes oncles ont vécu une double vie: en surface c’était le régime de Franco. Sous la terre, c’était la liberté, l’exotisme" raconte l'artiste espagnole, qui a grandi à Burgos, une petite ville très conservatrice du Nord de l’Espagne, et vit désormais à Bruxelles.
Tandis que Gaëlle Bourges "Rêve d’une grotte, sombre mais pas humide, comme celle de Lascaux. Être sous terre, à quelques dizaines de mètres de profondeur derrière la surface du sol. Glisser vers le bas par un trou de renard, comme un enfant, et tout oublier"
Edurne Rubio, dont les moyens d’expression - cinéma, performance, installations - paraissent très loin de l’univers brut des grottes, retrouve dans la fameuse et fantastique caverne située entre Santander et Bilbao un souvenir intacte de son plus jeune âge : « Quand, adulte, j’ai eu l’occasion d’y redescendre, c’était comme retrouver la maison de mon enfance. Ou une ville où nous aurions vécu autrefois. Il faut dire qu’on y habitait parfois: mes parents y avaient aménagé une chambre où l’on passait plusieurs jours. On connaissait chaque couloir, chaque passage. J’ai alors compris l’influence que cette grotte et la spéléologie avaient eues sur mon travail artistique » raconte-t-elle.
Pour Edurne Rubio, la grotte est l’unique espace intérieur qui ne soit pas construit par et pour l’homme. L’un des rares lieux du globe qui échappe aujourd’hui à la civilisation, à la domestication, alors qu’il en fut l’un des foyers à une époque désormais très lointaine. Pour Gaëlle Bourges, la grotte de Lascaux est l’occasion de tisser des liens entre petite et grande Histoire, entre Histoire de l’art et histoire personnelle.
Gaëlle Bourges enfant trouvait refuge dans des cartons qui, tels des grottes, étaient pour elle « un refuge pour la tête ». L’important, c’était qu’il y fasse le plus sombre possible, et qu’elle puisse quand même deviner les dessins d’animaux dont elle avait orné les surfaces internes.
Mystères de l’enfance, mystères de la découverte, espaces souterrains qui abriteraient l’origine de l’art ; autant de coins et de recoins sombres, éclairés par les propositions de deux artistes résolument contemporaines.