L’artiste slovène Jan Rozman à propos de sa création Thinging
Thinging prend appui sur le courant de pensée de l’Ontologie Orientée Objet, ou OOO. Comment l’avez-vous croisé et de quoi s’agit-il ?
JAN ROZMAN : Je menais une recherche sur la matérialité du corps humain et quelqu’un m’a recommandé Timothy Morton, l’un des principaux penseurs de l’objet dans nos vies. L’OOO réfléchit même aux relations entre objets, indépendamment de nos interventions. Il s’agit de déconstruire une vision anthropocentrée du monde. Le but est de sortir d’une attitude consumériste et matérialiste où l’homme définit son statut social à travers les objets.
Cette découverte a donc été décisive pour la création de votre solo ? J. R. : Depuis mes premières créations, j’ai toujours été intéressé par les objets sur scène en tant qu’extensions de mon corps car nous vivons dans un monde qui n’est plus imaginable sans objets de toutes sortes. Mais l’humanité est arrivée à un point où il lui faut réimaginer cette relation. J’ai donc commen cé à penser ces rapports à travers l’OOO et cela a changé mon regard sur les objets jusque dans ma vie personnelle. L’OOO traite d’objets en général, du plus simple au plus complexe ou technologique, et aux matérialités les plus diverses.
Comment les abordez-vous dans Thinging ?
J. R. : Pour cette pièce, je me suis moins intéressé à la technologie qu’à des objets simples, la plupart en plastique, que nous considérons souvent comme des déchets. Je veux ici leur ou¬vrir un espace poétique qui n’existe pas au quotidien, notamment parce que nous n’avons pas le temps de changer notre perception utilitaire de l’objet.
Le corps humain devient-il donc un objet à son tour ?
J. R. : La frontière entre le corps et l’objet est ici perméable. Je traite parfois le corps comme un objet et des objets comme s’ils étaient des corps vivants. Quand mon corps devient un objet, je peux me permettre de le manier de façons qui ne sont pas imaginables dans ma vie personnelle.
Comment s’est fait le choix des objets ? Auraient-ils parfois choisi eux-mêmes leurs partenaires de scène ?
J. R. : C’était un processus d’expérimentation et chaque objet a son histoire. Certains étaient déjà dans le studio, et j’en ai parfois apporté d’autres, de manière intuitive pour essayer de travailler avec eux. J’ai choisi beaucoup d’objets qui jouent sur la réflexion lumineuse ou la transparence et je les mets en jeu dans un spectre qui va de l’infrarouge à la lumière ultra¬violette. De la même façon, je décline l’eau, de la glace jusqu’à la vapeur. Et j’ai apporté une couverture de survie, comme clin d’oeil aux nombreux spectacles dans lesquels on s’en sert aujourd’hui sur scène.
Thinging n’est pas forcément une pièce dansée au sens propre. Quel est votre rapport à la danse ?
J. R. : J’ai commencé à danser pour mon plaisir quand j’avais quatre ans. J’ai grandi avec la danse et ensuite j’ai étudié la création artistique à Ljubljana, Amsterdam et Berlin. Pour mes spectacles, je n’utilise pas de textes mais je les pense à travers le corps et je travaille avec sa matérialité. C’est vraiment ce qui me définit comme artiste.
Propos recueillis par Thomas Hahn